LA GAUCHE PORTUGAISE AU PLUS PRES DU POUVOIR, par François Leclerc

Billet invité

Un gouvernement socialiste appuyé par les communistes et le Bloc de gauche est plus que jamais dans les tuyaux au Portugal. Le président de la République a hier soir désigné le premier ministre de droite sortant pour constituer un nouveau gouvernement, mais celui-ci n’a pas d’avenir, susceptible de tomber à la première occasion.

Un gouvernement de gauche est-il encore possible au Portugal ? A entendre le président Anibal Cavaco Silva et à lire les violentes réactions s’y opposant dans le pays, il ne pourrait plus en être question, car cela mettrait en cause les traités signés et le cadre qui en découle. L’incroyable semble pouvoir pourtant se réaliser. Plus de quarante ans auront été nécessaires pour que les ennemis irréductibles qui s’étaient violemment opposés après la chute de la dictature et la fin des guerres coloniales s’entendent.

Le leader socialiste Antonio Costa a surpris son monde, car il avait à sa disposition une autre formule, pouvant monnayer son soutien à une coalition PSD-CDS. Les dirigeants de ces deux partis ont même proposé au PS de constituer avec lui une grande coalition afin d’emporter sa décision. Mais il n’en a rien été : il a maintenu sa décision initiale et poursuivi les discussions avec ses partenaires de gauche.

Tout aussi surprenant a été la décision du parti communiste de faire tout pour, selon ses termes, empêcher le retour de la droite et favoriser « un gouvernement d’initiative socialiste », tout en essayant de s’impliquer a minima. De son côté, le Bloc de gauche a vite identifié les points de convergence avec le PS permettant d’aboutir à un accord dorénavant présenté comme « parlementaire » et non plus « gouvernemental ».

Comment s’entendre en si peu de temps après s’être si longtemps opposés ? Il faut croire que le rejet de la politique d’austérité était profond, bien que sourd. Le temps des grandes manifestations est révolu. Peut-être aussi parce que le pays retient sa respiration après s’être massivement abstenu. Dans la pratique, les réunions bilatérales dites « techniques » du PS se sont enchaînées avec le PC et le Bloco (Bloc de gauche). Délaissant les terrains où les désaccords ne pouvaient être réduits – dont la sortie du pays de la zone euro, revendiquée par le PC – les partenaires se sont mis d’accord sur des mesures concrètes et chiffrées, assorties d’un calendrier, qui concernent notamment le relèvement des salaires de la fonction publique et des retraites. D’autres points de désaccords auraient été résorbés, mais le détail n’en est pas connu.

Le président de la République avait annoncé privilégier « une solution stable, durable et crédible » mais a décidé son contraire en prononçant un discours vindicatif plus proche de celui d’un dirigeant de parti politique que d’un président de la République. Minoritaire au Parlement, la coalition PSD-CDS reconduite dépend désormais du bon vouloir du PS, ou à défaut des députés appartenant à sa droite. L’élection au perchoir de l’Assemblée d’un représentant de la gauche socialiste, Eduardo Ferro Rodrigues, va clarifier les intentions, en attendant la motion de rejet du gouvernement PSD-CDS que le PS préparera une fois conclues les discussions avec ses partenaires, principalement le PC. Une fois celle-ci votée, il restera une inconnue : quelle position le président de la République adoptera-t-il ? Se résoudra-t-il à confier au PS le soin de former le gouvernement ou se contentera-t-il de confier au premier ministre qu’il a choisi, mais que les députés auront rejeté, le soin de gérer les affaires courantes en attendant la tenue de nouvelles élections ? Pour le coup, en fin de mandat, il serait le premier artisan d’une instabilité qu’il prétend éviter.

Le parcours d’un gouvernement socialiste ne s’annonce pas de tout repos, disposant de marges de manœuvre restreintes car prétendant s’inscrire dans le cadre formé par la réduction du déficit et de la dette du pays, espérant les élargir en favorisant la croissance économique dans un contexte européen qui n’y est pas favorable. Depuis l’élection de Syriza en Grèce, le contexte européen a cependant évolué. Le gouvernement italien bénéficie de discrets assouplissements de la Commission, tandis que le parti populaire espagnol voudrait en obtenir autant, afin de garantir sa place de premier parti aux prochaines élections. En Grèce, la situation n’est pas clarifiée, le quartet des créanciers chargé de veiller à l’application des accords tranche par tranche et de définir les étapes suivantes a quelques difficultés à faire preuve d’intransigeance. Le gouvernement grec pourrait se voir confier la mission de stopper le flot des réfugiés si les pourparlers avec Ankara trainaient trop en longueur. Des habillages pourraient être trouvés. A tous points de vue, la visite de François Hollande à Athènes se veut un signal de la souplesse qui devrait lui être accordée. Sans annoncer un tournant, effet de la venue de la crise des réfugiés, elle laisse espérer aux Portugais une inflexion européenne dont ils pourraient profiter.